Textes

Le bois de mon père ou l'enfant rouge

 

Je suis né dans un pays où le nombre de vaches et d’arbres dépassait de beaucoup celui des hommes. 

Dernier rejet d’une fratrie de six, j’ai poussé sous le soleil de ma mère et dans l’ombre de mon père. Mais les êtres comme les plantes ont besoin d’obscurité et de lumière.

Bien des années plus tard je suis revenu. 

J’ai aimé une grande maison posée comme un cube sur une pente surplombant le Dourdou. Géométrie très simple, criblée de dix sept fenêtres, une grande terrasse sur la vallée, un grand pin sylvestre planté devant. 

De tout côtés des arbres.

Je me souviendrais toujours de cette phrase de mon père, arrivant par les petites routes. Je ne retrouve pas exactement ses mots, mais il disait « il y en a du bois içi ! »

Tous ces arbres, dans sa tête, étaient convertis en tas de bûches à bruler pour chasser le froid de l’hiver et surtout en belles et bonnes planches, madriers, bois à façonner.

Paysan par obligation, il était avant tout un homme aux mains habiles. Il aimait les machines et transformer tout ce qu’il pouvait récupérer. Son atelier, où il passait plus de temps que derrière ses vaches, était un antre qui sentait le copeau et le fer chaud. Il y fabriquait toutes sortes de machines. De là, sortait une multitude d’objets, remorques ou fenêtres, et beaucoup restaient, entamés, délaissés, attendant vainement le dernier coup de rabot, le dernier clou. J’ai hérité de lui ce goût de la création, mais aussi cette fâcheuse tendance à la rapide lassitude.

 

Le grand grand pin sylvestre tordu par le vent, rouge de tronc, était là.

Je l’enlaçais; son fût trop grand pour que mes bras le saisissent entier. Il m’a consolé souvent. Ma joue collée à son écorce rugueuse, il me semblait entendre le gargouillis de ses entrailles. J’ai aimé cet arbre. Comme beaucoup de vieillards, le soleil et la chaleur de cet été deux mille trois me l’on prit. Malgré mes supplications contre son grand corps, j’ai du contempler sa longue agonie. Son squelette a perdu lentement sa couleur. Le froid et la pluie l’ont rendu gris. J’ai gardé trop longtemps ce vestige morbide. Je ne sais pas quitter. 

Mon père est mort cet hiver là, lui aussi, affaibli par cet été suffocant. Il est tombé un soir de février. Il est mort au petit matin dans les bras de ma mère, mais sa conscience noyé de sang nous avait quitté depuis des heures. Rouge comme le tronc du grand pin.

Aristote et les anciens grecs pensaient que le mélange du blanc et du noir donnait du rouge. Le soleil s’effondrant sur l’horizon ne colore t’il pas la nuit d’écarlate?

Ma mère blanche de lumière, mon père noir de ses folies. Et ce rouge. Je suis né de cela, enfant rouge. 

 

 

Michel Cure 2017